L’INFOX : 🪑 23 Avril 1659 : la fin des spectateurs posés sur scène – le théâtre sort enfin de l’open-space

Par Jacques-Roger Pancrace, chroniqueur de sièges et autres objets plats

Une réforme qui fait tomber les planches… et les spectateurs

C’est un tournant historique dans l’art dramatique : le 23 avril 1659, la France interdit enfin à ses spectateurs de s’asseoir sur le plancher de la scène pendant les représentations. Jusque-là, chaque pièce de théâtre ressemblait davantage à un apéro dînatoire sans buffet qu’à une performance artistique.

« J’ai joué Phèdre entre une dame qui pelait une orange et un gentilhomme qui tricotait une chaussette », raconte un acteur anonyme, manifestement encore sous traitement.

Le concept était simple : tout le monde venait, posait son cul là où il pouvait, et zou, rideau levé. Résultat ?

• Le public sur scène,
• Les acteurs dans le public,
• Et des critiques qui demandaient aux comédiens « Vous pouvez baisser un peu la tête, je ne vois pas le monsieur au fond qui tousse. »

Confusions scéniques : « Jean-Michel, tu n’es pas dans la pièce ! »

La pièce Le Cid a connu un incident célèbre en 1655, lorsque le spectateur Jean-Michel de Trifouillis a été ovationné après avoir éternué au bon moment, croyant être le père de Chimène.
« À un moment, tout le monde parlait, alors j’ai dit ‘je vais à la guerre !’… Bah ils ont applaudi », confia-t-il humblement, devant sa cheminée.

Les grands dérèglements d’une scène open-bar

Parmi les incidents notables avant la réforme :

• Une dame a interrompu Tartuffe pour demander où était les toilettes (« derrière l’hypocrisie, madame »),
• Un enfant a lancé sa toupie en plein monologue tragique (« Et ma toupie, elle est pas dramatique peut-être ? »),
• Molière lui-même aurait glissé sur un melon en jouant Harpagon, perdant toute crédibilité et sa chaussure.

Le pire reste Roméo et Juliette joué en 1658 à Paris :

« Juliette s’apprête à boire son poison, un monsieur lui tend un verre d’eau Perrier en disant ‘vous allez vous dessécher, ma bonne dame’. » – Rapport de la police de la poésie dramatique.

Enfin un théâtre où l’on peut balancer des navets sans blesser tata Suzanne

Autre bénéfice inattendu mais majeur de cette réforme : le tir de légume ciblé. Avant 1659, protester contre une pièce médiocre relevait de l’art de la pétanque : on visait un acteur mais c’est toujours un pauvre spectateur innocent qui prenait la tomate en pleine perruque.

Le duc de Malprune en témoigne dans ses Mémoires :

« Je voulais atteindre un acteur poussif qui jouait Hamlet avec l’entrain d’un poulpe mort, j’ai frappé ma cousine au foie avec un poireau. »

Grâce à la séparation stricte scène/salle, les spectateurs ont désormais pu hurler « À la soupe ! » tout en balançant des navets avec précision chirurgicale.

L’INFO :

Le théâtre avant 1659 : un espace social autant qu’artistique

Sous l’Ancien Régime, les représentations théâtrales ne bénéficient pas du dispositif scénique moderne que nous connaissons aujourd’hui. Le public est souvent très proche – voire sur la scène elle-même. En effet, les spectateurs privilégiés, notamment les nobles, pouvaient acheter le droit de s’asseoir sur le bord ou même le sol de la scène pendant les représentations.

Cette promiscuité entraînait de nombreuses perturbations : bavardages, commentaires en direct, interactions avec les acteurs… L’illusion dramatique était souvent rompue.

Une réforme de 1659 pour clarifier les rôles

C’est à partir de 1659 que des mesures sont prises, notamment dans les théâtres parisiens, pour interdire cette proximité directe. L’objectif est de rétablir la frontière entre jeu théâtral et public, afin de professionnaliser la représentation et favoriser l’écoute.

Cette séparation progressive préfigure les théâtres à l’italienne, où la scène devient un espace clairement délimité, consacré uniquement aux acteurs.

Catégories : Histoire – Théâtre

Crédit Photo :